Exposer le Jardin du Barail création partagée in situ, exposition
Quelques mois après avoir posé les premiers jalons du Jardin du Barail, Denis Cointe me propose de documenter la démarche qu’il conduit avec le plasticien Laurent Cerciat, la créatrice sonore Laure Carrier et les éco-bâtisseuses Nathalie Samson et Paloma Spagnolo.
Répondant à un appel à projet lancé par la maison d’accueil spécialisée le Barail (Mérignac, Gironde), ils sont en train de mener un travail situé au croisement de l’art, du design, de l’architecture et du paysagisme, un travail où la relation au contexte et aux personnes qui résident sur place est primordiale. Les 52 résidants du Barail souffrent de déficiences physiques, psychologiques et mentales qui déterminent la forme et le chantier de ce jardin conçu comme un lieu d’évasion sensorielle et imaginaire pour elles, leurs proches et le personnel qui les aide au quotidien.
Quoi documenter ? Leur manière de faire, patiente et attentive
Et aussi tout ce qui nourrit et accompagne la création de ce Jardin : la prise en considération des différentes particularités physiques et psychologiques des résidants ; la multitude des enjeux professionnels où ils sont pris ; les caractéristiques spatiales et topographiques des lieux qui composent l’endroit ; toutes les collaborations qui se déploient au sein ou en-dehors du Barail pour créer l’improbable ; le rapport au temps (le projet s’étalera sur plus de 3 ans) ; la confrontation des cultures professionnelles et des imaginaires (communément ramassée dans la catégorie « Culture et santé ») ; l’articulation entre visées esthétiques, intentions éthiques et contraintes de tous ordres. Une multitude de plans qui comptent autant sinon plus que le jardin qui en résultera.
Comment documenter ce processus et toutes ces dimensions ?
Écrire un livre ou un blog sonne mal avec la manière dont les personnes s’inscrivent dans ce lieu. Il faut trouver une forme plus en phase avec cette démarche. Puisque le Jardin vise à créer un autre lieu au sein du Barail en offrant d’autres rapports à l’espace, je propose à Denis Cointe de concevoir une exposition qui reprenne, dans sa forme même, ces ressorts.
J’imagine une exposition qui aborde le processus de création du jardin tout en perturbant le rapport à l’espace où elle prendra place. Pour la première fois, je me projette en commissaire d’exposition, concepteur, réalisateur et commanditaire des contenus qui la constitueront.
Comme le collectif à ses débuts, j’entame une période d’immersion pour observer le lieu, son fonctionnement, les relations qui se tissent entre les résidants, les membres du personnel et ceux du collectif, les manières dont ces derniers réfléchissent et agissent.
J’élabore à mon tour un processus de fabrication des modules de l’exposition à venir dont le principal enjeu sera qu’elle puisse s’adresser à la fois aux personnes qui passent au Barail et aux résidants, lesquels ne sont que deux ou trois sur 52 à pouvoir lire, qu’ils souffrent de déficiences visuelles et auditives pour la plupart et que beaucoup se déplacent en fauteuil… Il s’agit également de prendre le temps, de ne pas concevoir l’exposition d’un seul tenant dès le départ, mais de laisser les idées advenir au fil des rencontres, des réactions, des situations qui se présenteront.
Dans un tel endroit, ce n’est pas un problème d’aller sur les bords. C’est la condition commune.
Pendant plus d’un an, avec l’aide et les contributions des membres du collectif, du personnel et des résidants, parfois même d’intervenants extérieurs, ces modules apparaissent dans les espaces intérieurs de la maison d’accueil spécialisée.
C’est une installation d’environ 2 mètres sur 2 composée d’un texte, de cartons découpés et d’une photo. Il met en scène l’échange que j’ai eu avec l’une des résidantes à propos de chemin et de cheminement, et la tablette en bois qui lui sert d’outil de communication. Écrit à la main, ce texte répond, toutes proportions gardées, à l’effort que Sylvie doit faire pour s’exprimer.
C’est une série de textes disséminés ici et là à destination des membres du personnel. Ils mettent en lumière des actions ou des situations qui, si elles ne sont pas spectaculaires, évoquent toutefois de manière éloquente les enjeux de ce jardin et les effets qu’il peut produire.
Ces histoires ont incité l’un des membres du personnel à écrire à son tour et à scotcher ses propres textes au mur, à côté des miens. Difficile d’imaginer une meilleure manière de s’approprier le jardin (objectif premier de l’exposition) que d’en discuter les modalités d’explicitation. Devenu le co-auteur inattendu de cette exposition, Marco dit Paulo a accepté d’enregistrer ses propres textes, diffusés par la suite dans l’espace intérieur central du Barail via un dispositif créé pour l’occasion.
Des dispositifs sonores sont intégrés dans certains espaces du jardin, évocations diverses qui invitent à voyager en imagination. S’il n’était pas assourdissant, le bruit des avions qui survolent régulièrement le Jardin du Barail, proche de l’aéroport de Mérignac, pourrait lui aussi annoncer d’autres voyages. Dont acte. J’ai proposé à un preneur de vue en drône de filmer le Barail et le Jardin depuis les airs. Au-delà du point de vue inédit, la projection de ces vidéos (réalisées et montées par Denis Cointe) sur le sol de l’espace intérieur central du Barail a été une expérience sensorielle pour tous, quelles que soient leurs qualités ou déficiences.
Le rapport au sol est différent selon qu’on se déplace à pied ou en fauteuil, qu’on parvienne facilement ou non à lever la tête, que l’on perçoive de manière plus ou moins altérée les formes et les couleurs qui s’y trouvent. Au sein d’une exposition qui évoque un jardin, il est devenu évident que des plantes devaient à leur tour envahir l’espace. Dessinées par Laurent Cerciat sur le modèle d’espèces présentes dans le Jardin du Barail, celles, adhésives, qui courent un peu partout dans les couloirs ont été plantées collées lors d’un atelier ouvert aux résidants et aux membres du personnel.
Cette phrase a été prononcée par la psychologue du Barail (ou par l’ergologue, je ne me souviens plus) pendant un entretien dont j’attendais qu’il me fournisse des indications sur le type de modules que je pourrais imaginer. Pour la lire dans sa totalité, il faut soit marcher (se déplacer) soit monter sur la mezzanine qui surplombe l’espace intérieur central (prendre de la hauteur). Autrement dit joindre la parole et l’acte, la théorie et l’expérience.
À l’automne 2017, résidants, familles, professionnels, artistes, artisans, contributeurs, partenaires, donateurs étaient conviés au lancement de la Saison du Jardin. La première.
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