Ça s’arrête à quel âge ? écriture, alzeihmer, représentations
L’idée m’était venue en écoutant Madeleine, une personne rencontrée dans un ehpad à la faveur de Projet Nouvelle. Atteinte d’un trouble étrange (neurologique ? de vieillesse ? Alzheimer ? autre ?), sa manière de parler m’avait conduit à écrire un texte heurté comme l’étaient sa parole et son élocution, d’où surgissaient parfois des fulgurances poétiques d’une beauté mystérieuse.
Deux ans plus tard, connaissant cette histoire, Jean-Paul Rathier me propose de poursuivre dans cette direction. Le pôle Culture & Santé en Aquitaine dont il est alors le gérant vient d’être sollicité par l’Agence régionale de la santé pour faire création au sujet de la maladie d’Alzheimer, et modifier le regard que l’on porte sur les personnes qui en souffrent. Inspiré par une phrase de Raymond Depardon qui expliquait un jour filmer en sorte de « dégager l’écoute », je propose de passer du temps dans une unité Alzheimer et d’écrire un texte fait de ce que j’y aurais entendu.
J’écrirai finalement deux textes.
Le premier est un collage de phrases prélevées durant les journées passées à l’ehpad du Grand Bon Pasteur à Bordeaux, un collage décomposé en un prologue et 8 scènes. Pas d’intrigue, pas de narration, pas vraiment de sens, mais un ensemble de voix qui s’enchevêtrent comme se répondent, à leurs manières, les personnes qui passent leurs journées ensemble dans l’unité Alzheimer.
Le second est le fruit de mes échanges avec Léone Hodari, une aide-soignante rencontrée sur place qui sait écouter les mots et aussi les corps, une personne qui sait être présente aux autres, avec une sensibilité extraordinaire. C’est un récit écrit au style indirect libre. Il lui donne la parole et redonne de la parole aux personnes qui souffrent de la maladie d’Alzheimer.
Ces deux textes ont été interprétés par Jean-Paul Rathier, et par une dizaine d’élèves d’une classe du conservatoire de théâtre de Bordeaux, sous la direction de leur professeur Eric Jacquet. Ils étaient accompagnés par trois musiciennes du pôle d’enseignement supérieur musique et danse de Bordeaux, sous la conduite de leur professeur Sylvain Perret.
Deux représentations de Ça s’arrête à quel âge ? ont été données en décembre 2015 dans les ehpad du Grand Bon Pasteur et d’Excideuil en Dordogne.
Avant les représentations, je lisais ce texte :
L’unité protégée du Grand Bon Pasteur est un espace séparé du reste de la maison de retraite par un système automatisé de verrouillage des portes, où toute personne se trouve de fait mise à l’écart du monde majoritaire. Pendant plusieurs mois, à raison de séjours de quelques heures chaque fois, j’y suis entré avec un carnet et un crayon et j’ai écouté.
J’ai écouté les résidantes (aucun homme n’y habitait pendant la période où je suis venu), les personnes qui leur rendaient visite et les professionnels amenés à y intervenir à un titre ou à un autre. Très rarement j’ai posé des questions. Mon intention n’était pas de comprendre la réalité de ce lieu pour m’en faire par la suite le témoin supposé éclairé. J’ai préféré me laisser toucher par toutes ces voix, d’inaudibles à hurlantes, que je notais sur le champ avec les imperfections propres à un tel exercice. J’étais pris dans une sorte de musique que j’essayais de transcrire en mots, sans craindre de me faire la chambre d’écho des malentendus, des inventions, des incongruités, des violences et des beautés qui forment le socle de toute communication verbale et qui, dans ce lieu, sont exacerbés.
Ce qu’il en reste dans mes carnets, ce sont des bouts de phrases, des dialogues interrompus par des éclats de voix, des mots que j’ai cru entendre mais qui n’ont peut-être pas été prononcés, des transcriptions phonétiques de paroles incompréhensibles. Je n’ai pas cherché à gommer cette cacophonie. J’ai cherché au contraire à la reprendre à mon compte en pensant au jour où des comédiens et des comédiennes la diraient à voix haute.
J’aimerais que ce texte sonne comme une langue étrangère-familière.
Et puis ça commençait…