L’art dans vivre livre, art contemporain
Éclairer la commande
En juin 2016, Blaise Mercier, le directeur de Pola, n’a pas une idée précise du projet éditorial qu’il me propose de réaliser et de coordonner. Estimant que la fabrique bordelaise est bien placée pour parler des/aux artistes contemporains, la DRAC Aquitaine lui a confié la mission de produire « quelque chose » sur le sujet. À l’issue de notre première séance de travail, nous sommes d’accord pour mettre de côté la notion de « jeune création » qui accompagnait la demande de la DRAC. Le livre que nous entrevoyons parlera des réalités auxquelles des artistes de tous âges se confrontent, à travers une série de récits relatant leurs parcours professionnels, forcément singuliers.
Préciser les objectifs
En étudiant la littérature existante sur le sujet, je m’aperçois qu’entre les guides de bonne pratique, les ouvrages universitaires à visée universaliste et les entretiens de type monographique, il manque de livres abordant la vie d’artistes sous l’angle de l’apprentissage et de l’expérience. S’il existe (peut-être) des méthodes et des trucs pour devenir artiste et le rester, il me semble plus juste de considérer ce « métier » comme une suite toujours originale d’arrangements, d’inventions, de rencontres, d’opportunités. Ce sera le postulat du livre : montrer des manières singulières d’être et de faire qui, espérons-le, donneront matière à penser à d’autres.
Énoncer une ligne éditoriale
Des récits écrits à partir de longs entretiens menés avec les artistes. Des récits qui ne racontent pas d’histoires (= salades). Des interprétations respectueuses et documentées qui ne cherchent pas à les mettre en difficulté ou à les placer sous un mauvais jour, mais qui ne fassent pas l’impasse sur leurs difficultés et leurs mauvais jours. Pas de la publicité mais des « portraits de vie » sensibles. Pas un livre sur l’art, mais sur les artistes évoluant dans le milieu de l’art. Capter leurs « bricolages ».
Organiser le travail
Nous décidons dès le départ de mettre en place un comité éditorial. Il doit rassembler plusieurs acteurs et fins connaisseurs de l’art contemporain en Nouvelle-Aquitaine, région avec laquelle les artistes présents dans le livre devront avoir un lien. Pomme Boucher (Quartier Rouge, Felletin), Marie-Anne Chambost (Point de Fuite, Bordeaux), Yann Chevalier (Confort Moderne, Poitiers), Elodie Goux (Documents d’Artistes, Bordeaux), ainsi que Blaise Mercier et moi-même établissons le sommaire de l’ouvrage et veillons à sa mise en œuvre. Cette instance apporte le recul nécessaire pour discuter du ton et de la forme, réviser des avis, avancer de nouvelles idées.
Proposer des à-côtés
Assez vite, je propose à Blaise Mercier que les différents habitants de la fabrique Pola soient associés à la production du livre et de montrer, sur un site internet créé pour l’occasion, le travail que chacun.e réalise dans ce cadre (illustration, graphisme, impression, fabrication, etc.). Les coulisses du livre en somme pour 1. faire équipe autour de ce projet éditorial 2. montrer ce qui se passe dans une fabrique artistique. L’idée, ambitieuse, est abandonnée faute de moyens et de temps.
Rencontrer les artistes
Parmi la trentaine de noms avancés en comité éditorial, il en reste 8 que je choisis pour la diversité des situations qu’ils peuvent représenter. Trois femmes et cinq hommes, ayant fait les Beaux-Arts ou non, âgés de 23 à 67 ans, plus ou moins reconnus, vivant plus ou moins de leur art, habitant en ville ou à la campagne, explorant des esthétiques et des médium variés. Ce n’est pas un panel scientifiquement constitué, mais une sélection qui se justifie. Tous acceptent de se prêter à l’exercice. Je les rencontre en tête-à-tête, de préférence sur leur lieu de travail, pour 3 heures en moyenne d’échanges serrés. Comme j’arrive en connaissant bien leur démarche, nous entrons directement dans le vif du sujet qui est moins leur art que leur art d’en vivre.
Écrire
Le format prévu est d’environ 15 000 signes par récit, soit environ 4 pages. Assez pour dérouler un parcours et lui découvrir des lignes de force, des séquences, des points de bascule. Assez pour former un ensemble qui puisse se lire d’une traite et amène le lecteur à faire des rapprochements et des distinctions, à entrevoir des positions et des imaginaires. Il ne s’agit pas de cerner une personnalité, encore moins de faire le tour d’une démarche et d’une vie, mais de décrire au plus près leurs expériences, telles que je les ai entendues.
Faire dire
Proposer à un spécialiste de lire tous les récits et d’en dire quelque chose dans l’ensemble est un principe éditorial dont les bénéficies m’étaient apparus avec In Vivo. Au regard de son article sur le seuil des 40 ans dans le parcours des artistes contemporains, la sociologue Séverine Marguin était tout indiquée pour mettre en perspective ces différents parcours et avancer des problématiques communes par-delà les inventions singulières.
Accueillir le point aveugle
L’idée est de Yann Chevalier. Inviter un artiste à s’emparer de ces récits pour imaginer un autre parcours, un autre artiste, d’autres préoccupations, d’autres inventions de vie. Insérée en milieu d’ouvrage, la fiction de David Évrard évite de croire et de faire croire que la vérité des personnes et de leurs vies se documente.
Mettre en forme
Un beau petit livre de poche qui apporte de la légèreté visuelle à l’ensemble et donne envie de lire les textes. Un objet graphique susceptible d’attirer l’œil des artistes à qui il s’adresse en premier lieu. Ce sont les designeuses graphiques de Cocktail qui le conçoivent et les Requins Marteaux, dont les bureaux sont à Pola, qui en assurent la maquette et le suivi de fabrication.
Illustrer
L’association Disparate dispose d’un fonds d’illustrations de tous types et réalise l’iconographie du livre. Les images des 6 artistes qu’elle propose après lecture des récits dialoguent avec les parcours de vie de 6 autres artistes, et montrent la richesse et la variété de ce domaine d’expression.
Coordonner
De la première rencontre avec Blaise Mercier jusqu’à la livraison de L’Art dans vivre en décembre 2017, il s’est passé un an et demi. Coordonner un projet éditorial, c’est aussi faire avec les contraintes des uns et des autres, tout en tenant la ligne.